L’ECPAD mène une politique de collecte d’archives audiovisuelles privées. Celles-ci, entrées par voie extraordinaire[1], permettent de compléter les collections photographiques et cinématographiques institutionnelles conservées par l’établissement. De nombreux documents de cet ordre relatifs à la guerre d’Algérie ont intégré les fonds et les enrichissent par le regard différent qu’ils offrent car ils s’inscrivent en marge d’un système officiel de production et de diffusion des images réalisées, au sein de l’institution militaire, par le SCA (service cinématographique des armées) d’Alger.
Ces regards au long cours de soldats photographes amateurs, spécifiquement individuels, inscrits dans des parcours de vie singuliers, fournissent une matière iconographique fondamentale qui pose la question sans cesse renouvelée de la représentation de la guerre d’Algérie du point de vue du soldat. Ces images d’archives constituent une sorte de canal permettant une immersion plus concrète, voire plus réelle, dans ce que fut la guerre d’Algérie pour ces hommes ou, plutôt, dans ce que fut leur guerre d’Algérie, à travers le prisme de leur objectif et de leur sensibilité photographique. Ainsi, la lecture d’un événement, vu sous un nouvel angle, peut évoluer même des années plus tard.
À travers le portfolio ci-joint, est présentée une sélection de quelques-unes des vingt-trois mille photographies réparties dans les dix-huit collections privées relatives à la guerre d’Algérie conservées à ce jour à l’ECPAD et dont certaines sont révélées ici pour la première fois. Le choix ne reflète pas l’ensemble de ces collections. Les axes de recherche, les objets d’étude et les appréciations esthétiques sont par trop nombreux pour prétendre, ici, les aborder dans une perspective d’exhaustivité. En revanche, la sélection est axée autour de trois collections particulières issues de la production de trois soldats engagés, Marc Flament, Arthur Smet et Claude Roudeau.
La question de la représentation de la violence vécue sur le terrain est principalement abordée, un aspect d’autant plus remarquable que ce type d’images est quasiment absent des cent soixante mille photographies de la guerre d’Algérie produites par le SCA d’Alger entre 1954 et 1962.
Si chaque parcours est singulier, il arrive que ces visions se croisent, se complètent, diffèrent, esthétiquement et même physiquement. C’est le cas des photographes Arthur Smet et Marc Flament qui commencent la photographie à des moments très différents de la guerre d’Algérie avant de se rencontrer en février 1959 et de travailler ensemble pendant quelques mois. De la même manière, ces photographes marginaux du point de vue du système de représentation officiel peuvent, à l’occasion, rencontrer les opérateurs du SCA. À un moment ou un autre, ils ont également tous les trois adhéré photographiquement au credo « action psychologique » alors en vigueur dans le cadre de la pacification militaire. C’est l’aspect retenu dans la présentation de la collection de Claude Roudeau qui prend l’initiative en 1957 de réaliser un diaporama photographique sonore afin d’illustrer l’action des forces françaises en Algérie.
[1]. Abrégé d’archivistique : principes et pratiques du métier d’archiviste, Paris, 2004, p. 20 : « Le terme d’entréespar voie extraordinaire est réservé à des entrées résultant de voies juridiquement variées (achats, dations, dépôts, legs, dons, revendications, dévolutions) ».